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« On a besoin de biotesting sur tout le cycle de vie d’un biomédicament »

Les 7 et 8 juin 2023 se tiendra à Évreux, dans l’Eure, la 4e édition des Journées Polepharma du Biotesting, un rendez-vous annuel incontournable qui s’impose désormais comme un véritable « Think Tank » du biotesting. Président du congrès Ludovic Burlot, directeur du Développement biopharmaceutique chez LFB, revient pour nous sur la place centrale qu’occupe le biotesting dans le développement dans médicaments et sur ses enjeux.

Industrie Pharma magazine : En quoi consiste exactement le biotesting ? Quels sont les grands types d’analyses et technologies qui se cachent derrière ?

Ludovic Burlot : Le biotesting est un terme générique repris par Polepharma dans le cadre de son congrès et qui fait référence à la sphère analytique globale qui entoure le développement des biothérapies. Sous cette dénomination, sans être exhaustif, on va ainsi retrouver comme thématiques la caractérisation structurale des biomolécules, la conduite de bioassays pour déterminer leur activité et leur mode d’action, l’évaluation de leurs interactions avec soit d’autres biothérapies ou de petites molécules, la recherche d’impuretés, l’analyse de la stérilité.  Pour se faire nous devons disposer de systèmes analytiques toujours plus performant comme la spectrométrie de masse, la spectrophotométrie, les méthodes séparatives (la chromatographie et l’électrophorèse capillaire), test Elisa et bien d’autres encore…mais aussi le couplage de ces méthodes.

En plus de ce sujet du développement analytique et des équipements spécifiques qui lui sont associés, on va inclure dans cette thématique du biotesting les stratégies en lien avec la qualité pharmaceutique et les requis réglementaires.

Depuis quand le biotesting s’est-il imposé dans l’univers de la pharmacie comme un sujet clé ?  

L.B. : L’essor du développement analytique des biomolécules remonte aux années 60 avec l’arrivée des premières protéines recombinantes. Lors du développement de ces nouvelles protéines il a fallu être en capacité de définir leur structure qui est intrinsèquement liée à leur mode d’action et leur activité. Certaines protéines purifiées à partir de prélèvement animal comme par exemple l’insuline, ou de plasma humain comme certains facteurs de la coagulation ont été remplacé aujourd’hui par des protéines recombinantes. Les laboratoires ont dû démontrer que ces protéines avaient des structures proches de la protéine humaine et que les impuretés venant de ces nouveaux procédés ne présentaient pas de risque pour les patients. En effet, que ce soit en culture cellulaire ou par transgénèse animale, ces nouveaux systèmes d’expression génèrent des contaminants qui leur sont propre , impuretés qu’il faudra identifier et quantifier.

En quoi la donne est-elle en train de changer en matière de développement analytique ?

L.B. : Plusieurs facteurs contribuent à l’évolution du développement analytique. En premier lieu, les agences réglementaire du médicament ont des attentes de plus en plus fortes sur la démonstration de la sécurité et de l’efficacité de ces biothérapies.  Nous devons aussi réduire le cycle de développement de ces médicaments et là encore le développement analytique doit y contribuer. L’arrivée des Médicaments de thérapies innovantes amène de nouveaux défis et notamment la nécessité d’apporter des réponses analytiques dans des temps de plus en plus courts.

Au-delà de la sphère pharmaceutique la connaissance du « vivant » boost aussi son développement, comme par exemple  le séquençage du génome, la caractérisation de virus émergeants….

En 25 ans j’ai donc pu voir à mon échelle l’évolution de certaines technologies comme la spectrométrie de masse et la chromatographie. La spectrométrie de masse, née pour caractériser des petites molécules, est maintenant adaptée à la caractérisation de protéines complexe de grande taille, tout en étant plus sensible pour la recherche d’impuretés. La tendance est aujourd’hui à la caractérisation des protéines sous leurs  formes natives, sans passer par des étapes de digestion pour les analyser.

Des méthodes plus traditionnelles comme par exemple la spectrophotométrie RAMAN ont été adaptés pour répondre à des besoins de conduite en ligne de procèdes industrielles comme la culture cellulaire.  .  .

Le biotesting est aujourd’hui une activité centrale dans le processus de développement des biothérapies, ce qui explique toutes ces avancées ou adaptations technologiques.

Quelle est aujourd’hui la maturité de ce sujet du biotesting ?

L.B. : Sur les produits recombinants, l’état de l’art est bien connu en matière de développement analytique. En revanche, sur le sujet des MTI, on est au début de la mise en place de stratégies de développement analytique, comme il y a 20 ou 30 ans, pour les protéines recombinantes.

Et est-ce que l’on dispose de tous les outils analytiques nécessaires ?

L.B. : C’est une question difficile. Nous voulons toujours être plus sensible, plus précis et plus rapide, ce qui nécessite toujours de nouveaux outils. Pour les MTI que je connais moins bien, on va retrouver les mêmes outils analytiques que ceux utilisés pour les protéines recombinantes, mais ils ne sont pas toujours utilisés avec la même finalité.

Par exemple, la cytométrie de flux et la qPCR sont traditionnellement utilisées pour la production de protéines recombinantes pour mieux caractériser leur activité et pour la recherche d’impuretés. Dans le domaine des cellules Car-T,  ces technologies sont désormais utilisées pour faire de l’immuno-monitoring, une fois que les cellules ont été injectées à l’homme.  En conclusion, pour les médicaments innovants, même si certaines technologies analytiques existantes sont adaptées à leur besoin, il est probable que de nouveaux outils soient indispensables à leur développement.

À quel stade du développement d’un médicament a-t-on le plus besoin de biotesting ? 

L.B. : On a besoin du développement analytique tout au long du cycle de vie d’un biomédicament : du début jusqu’à la fin, sans interruption. Dans les phases précoces de développement il est primordial de bien identifier la structure de la biothérapie candidate. Puis, lorsque que le produit a été sélectionnée, il va falloir développer son procédé de production/purification et sa formulation. Le développement analytique va accompagner toutes ces phases de développement permettant de mettre à disposition un produit fini pour les phases de développement cliniques et répondant aux requis réglementaires.

Au stade de la commercialisation, une stratégie de contrôle devra être définie et mis en place, valorisant toute la connaissance accumulée tout au long de son développement analytique démontrant que le produit répond aux requis qualité pour assurer son efficacité et sa sécurité.

Est-ce que ce toutes ces analyses sont réalisées en interne par les laboratoires ou sont sous-traitées ?

L.B. : En général, l’organisation du développement analytique est très dépendante de la taille et la structure de l’entreprise pharmaceutique. En ce qui concerne les start-up, elles définissent et organisent le développement de molécules et sous-traitent le développement analytique car elles n’ont pas la taille critique pour implanter des laboratoires. Les investissements en équipements sont souvent lourds et nécessitent des compétences souvent rares, comme dans le cas de la spectrométrie de masse par exemple. En ce qui concerne le LFB comme beaucoup de moyenne ou grandes entreprises, nous réalisons la quasi totalité du développement analytique en interne. On sera amenés à externaliser le développement de certaines méthodes si l’on manque ponctuellement de ressources ou de compétences/outils spécifiques.

Pourquoi maintenir toutes ces capacités analytiques en interne plutôt que de recourir à de la sous-traitance ?

L.B. : Un laboratoire analytique sera toujours challengé par sa direction pour savoir s’il faut garder des compétences en interne, ce qui représente un coût, ou s’il faut externaliser l’activité. Si l’on veut aller de plus en plus vite dans le développement de médicaments, c’est sans appel : il vaut mieux réaliser le développement analytique en interne. Cela offre plus de rapidité et d’agilité. Néanmoins il est très hypothétique de croire que l’ensemble de toutes ces méthodes complexes peuvent être internalisées. Un bon mixte entre sous-traitance et internalisation est certainement la meilleure stratégie à déployer en fonction de ces moyens.

Quels sont aujourd’hui les enjeux du biotesting ?

L.B. : Deux grands enjeux se posent dans le secteur pharma :

  • comment peut-on peut accélérer le développement des médicaments et en particulier comment aller plus vite en phases cliniques ?
  • comment assurer une production fiable ?

et tout cela en répondant aux exigences pharmaceutiques et réglementaires.

Pour cela le développement analytique doit nous permettre avec les bon outils de développer plus rapidement le procédé de production/purification et de définir une formulation adaptée à son usage tout en assurant  la qualité du médicament et la sécurité du patient limitant ainsi le risque d’effets indésirable lors des études cliniques.

Le biotesting fait aujourd’hui partie intégrante de ce qu’on peut appeler la stratégie de contrôle d’un médicament. Aujourd’hui l’apport du biotesting permet d’avoir une meilleure caractérisation du médicament tout au long de sa production/purification, ce qui nous permet de mieux caractériser son processus de fabrication et donc de mieux définir les paramètres de procédé critiques vis-à-vis de la qualité du produit.  A l’instar de ce qui pouvait être pratiqué il y a 25 ans, cette synergie entre biotesting et caractérisation du procédé de fabrication permet de piloter la qualité du produit tout au long de son processus de fabrication et d’en assurer sa libéralité sans mettre place une stratégie de contrôle analytique trop lourde en fin de fabrication. Par cette stratégie la mise à disposition du médicament aux patients est améliorée, ce qui est d’autant plus important pour les MTI.

Pourquoi avoir accepté de soutenir les Journées Polepharma du Biotesting ?

L.B. : Dans le domaine du développement analytique, on se retrouve souvent seuls face à nos enjeux et à l’exigence des  agences réglementaires du médicament. Un congrès tel que celui-ci permet de bénéficier de l’expérience d’autres laboratoires afin d’échanger sur les approches et les stratégies qui ont pu être mises en œuvres. Il nous permet de confronter notre compréhension du besoin réglementaire et discuter des nouveaux textes qui viennent d’être promulgués. C’est aussi l’occasion pour des équipementiers et des scientifiques du monde académique de présenter de nouvelles avancées scientifique et technologiques pouvant répondre à nos enjeux.

Ces journées sur le biotesting sont une occasion unique pour tous nous enrichir mutuellement.

propos recueillis par Sylvie Latieule pour le Magazine IndustriePharma n°149 – Juin 2023

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